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Le 09 juillet 2020

 

Selon l’ancien article 1382 du Code civil applicable au litige, (re-codifié sous l’article 1240), tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Sur le fondement de ces dispositions, la responsabilité délictuelle est ainsi subordonnée à trois conditions cumulatives, respectivement une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux premières conditions.

S’agissant de la faute, comme l’a rappelé le premier juge , il est constant que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle , un manquement de l’une des parties à un contrat, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

En l’espèce, aux termes du bail commercial qu’elle a conclu le 4 septembre 2015 pour l’exploitation de son fonds de boulangerie pâtisserie, la SARL La Boulangerie s’est obligée à se conformer au règlement de l’immeuble lequel prévoit notamment que le rez-de-chaussée du bâtiment avant et ses dépendances, sont destinés à l’exercice d’un commerce, à la condition qu’ils ne soient pas bruyants, ni insalubres et n’exhalent pas de mauvaises odeurs. Il résulte du rapport d’expertise judiciaire que pendant la période d’exploitation du fournil, l’émergence globale des bruits incriminés, toutes sources confondues, demeure systématiquement en deçà du seuil limite réglementaire tolérable. En revanche selon l’expert, la décomposition spectrale de ces bruits laisse apparaître, par leur intensité, leurs durées et leurs répétitions, des émergences dépassant les limites réglementaires admissibles dans le spectre des basses fréquences. L’expert précise que l’équipement à l’origine de ce dépassement est une diviseuse dépourvue de tout dispositif 'anti vibratil'. Ses constatations et conclusions ne sont pas remises en cause par les résultats des mesures effectuées antérieurement par le service d’hygiène et de santé de la ville de Metzen janvier 2016, révélant au contraire que les bruits provoqués par le fonctionnement de la boulangerie n’engendrent pas d’émergences globales et spectrales supérieures aux seuils fixés par les mesures réglementaires. Les résultats de l’expertise judiciaire apparaissent en effet plus fiables dans la mesure où ils sont basés sur des analyses effectuées de manière inopinée sur quatre jours alors que les mesures de la ville de Metz ont été réalisées sur une seule journée en une période d’une demi-heure.

L’expert judiciaire a par ailleurs constaté que l’odeur du fournil est fortement ressentie dans l’une des chambres de l’appartement des intimés, cette forte odeur ayant également été relevée par le service d’hygiène et de santé de la ville de Metz au cours d’une enquête sanitaire le 14 octobre 2015 et par M. Tallarico, huissier de justice, qui en fait état dans son procès-verbal de constat du 18 janvier 2018. Son intensité rapportée par chacun d’entre eux, est constitutive d’une nuisance olfactive et partant d’une "mauvaise odeur" au sens du règlement de co-propriété de l’immeuble.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que le premier juge a estimé que la SARL La Boulangerie a failli aux obligations de ce règlement prohibant l’exploitation d’un commerce bruyant et exhalant et par voie de conséquence qu’il a commis une faute.

La circonstance selon laquelle M. et Mme X ont acheté leur appartement en ayant connaissance de l’exploitation de la boulangerie au rez-de-chaussée de l’immeuble n’est en rien de nature à libérer la SARL La Boulangerie des conséquences de cette faute. En effet, celle-ci procède non tant de la présence de la boulangerie elle-même, mais du fonctionnement du laboratoire dont l’antériorité à la vente de l’appartement est contestée et non démontrée. En outre et même à supposer que les intimés aient pu savoir les nuisances de l’exploitation, cette connaissance n’emporte ni exonération de son caractère fautif, ni renonciation à s’en prévaloir.

En ce qui concerne le préjudice, l’expert judiciaire indique que les bruits du fournil sont légèrement audibles dans l’appartement de M. et Mme X mais demeurent suffisants pour constituer une gêne pour les occupants. Il ajoute que ces bruits sont d’autant plus mal acceptés qu’ils se produisent la nuit à partir 4 heures du matin et conclut qu’ils dépassent les inconvénients normaux de voisinage. Le dommage causé par les odeurs évoqué par l’expert affecte l’une des chambres de l’appartement et le procès-verbal établi par huissier de justice le 18 janvier 2018 fait état d’une seconde pièce touchée par cette nuisance.

Sur la durée du préjudice, il résulte des pièces figurant au dossier que M. et Mme X ont déploré les nuisances de la boulangerie qu’ils dénonçaient déjà en 2014, dès le début de l’exploitation de la SARL La Boulangerie à l’automne 2015. L’expert judiciaire a préconisé trois mesures consistant respectivement à un traitement vibratoire pour la diviseuse notamment par la pose d’un tapis 'anti-vibratil', à la mise en place d’un caisson isolant d’une gaine technique et à un réglage de la porte d’accès au fournil. Contrairement à ce qu’a estimé le premier juge, il est justifié de la mise en oeuvre de la première de ces recommandations à la fin de l’année 2016 puisque l’appelante verse aux débats la facture d’acquisition d’une plaque anti-vibratoire dont la fiche technique a été communiquée à l’expert qui à cet égard n’a formulé aucune objection et la réalité de la pose de cette plaque sous la diviseuse ressort de la photographie produite aux débats. En outre il est observé que les intimés ne démontrent pas la persistance actuelle de la nuisance sonore de la diviseuse, alors que le constat d’huissier daté du 18 janvier 2018 qu’ils produisent, n’en fait pas état, ce qui tend à confirmer la mise en oeuvre par l’appelante des moyens suffisants pour respecter la préconisation de l’expert. En revanche, la mise en oeuvre des deux autres préconisations de l’expert, alléguée par l’appelante, n’est établie par aucun élément objectif. Il résulte au contraire du constat d’huissier que les nuisances olfactives ont subsisté alors précisément que le caisson isolant était censé en empêcher la diffusion, que le conduit d’évacuation de fumée du four présente de multiples raccords d’adhésifs métalliques non étanches et que la porte fenêtre du laboratoire n’est pas étanche.

Compte tenu du fait que les nuisances sonores ne sont constituées que de bruits légèrement audibles dans l’appartement, que leur persistance au-delà du mois de décembre 2016 n’est pas démontrée et que les nuisances olfactives n’affectent que partiellement l’appartement, l’évaluation du préjudice par le premier juge apparaît excessive. Le jugement déféré est donc infirmé de ce chef et au regard des éléments dont dispose la cour, le montant de l’indemnisation du trouble de jouissance sera estimé à 4.000 EUR et la SARL La Boulangerie sera condamnée à payer cette somme avec intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2018, date du jugement.

Référence: 

- Cour d'appel de Metz, 3ème chambre, 7 juillet 2020, RG n° 18/02471