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Le 20 janvier 2013
En droit, le notaire est tenu, d'une part, un devoir de conseil, d'autre part, d'un devoir d'assurer l'efficacité de l'acte dont il est le rédacteur et il lui appartient de prendre toutes dispositions utiles à cette fin. Or, il est constant et non contesté que l'opération litigieuse d'achat de quirats avait un but exclusivement fiscal ...
Le 18 mai 1995, la société Viking a conclu avec la société Ocea un contrat de vente portant sur un navire de pêche à construire, dénommé Viking Explorer, la société Ocea devant assurer la construction de ce navire et le livrer avant la fin de l'année à la société Viking.

Dans le courant de l'année 1995, il a été proposé au public la souscription de parts de copropriété de ce navire de pêche, présentée comme répondant aux conditions de la loi Pons, c'est à dire comme permettant la défiscalisation de l'investissement réalisé.

Par acte du 26 déc. 1995 reçu par M. D, alors notaire associé de la SCP notariale D. M., la société Viking et la société Compagnie des Longs Liners ont créé une copropriété portant sur le navire intitulée "Copropriété Viking Explorer". Cette copropriété a été divisée en 1.199 quirats d'une valeur unitaire de 25.000 F.

Selon acte authentique reçu le 29 déc. 1995 par M. D, la société Viking a vendu à M. Alain S 12 quirats de la copropriété 'Viking Explorer' moyennant le prix de 300.000 F (45.734,71 euro). Ledit acte prévoyait une promesse irrévocable de rachat des quirats par la société Viking, moyennant le prix de 7.125 F (1.086,20 euro) par quirat. Ce rachat a eu lieu suivant acte sous seings privés en date des 31 déc. 2001 et 12 févr. 2002.

Par la suite, dans le cadre d'une vérification de la comptabilité de la copropriété, l'administration fiscale a considéré que la livraison du navire n'étant pas intervenue avant le 31 déc. 1995, les quirataires n'étaient pas fondés à déduire de leurs revenus imposables le montant de leur investissement. L'administration fiscale a donc remis en cause l'application du régime de faveur prévu par la loi Pons au motif que les conditions juridiques n'étaient pas réunies au moment de la cession des quirats et a notifié à M. Alain S. une déchéance rétroactive du bénéfice des avantages fiscaux prévus par cette loi.

M. Alain S a exercé un recours à l'encontre de ces redressements devant les juridictions administratives et, selon jugement du 26 mars 2002, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté sa requête et confirmé la position de l'administration. La Cour administrative d'appel de Lyon a maintenu les impositions par arrêt du 1er févr. 2007.

Entre temps, la société Viking avait été placée en redressement judiciaire par jugement du 25 juill. 2000 et, le 17 oct. 2008, le tribunal de commerce du Havre a prononcé la liquidation judiciaire de cette société, désignant M. V. en qualité de liquidateur judiciaire.

C'est dans ces conditions que, selon actes extra-judiciaires des 17 juillet 2002, M. Alain S. a assigné M. Jean-Marie D et la SCP notariale D G, devenue SCP G et G C, afin de les voir condamner solidairement à lui payer les sommes de 42.496,08 euro et de 7.622,45 euro à titre de dommages-intérêts en principal, en réparation du préjudice subi à la suite d'une acquisition de quirats de navire Viking Explorer, ayant donné lieu à une procédure de redressement fiscal.

{{Sur la responsabilité de M. Jean-Marie D, notaire}}

En droit, le notaire est tenu, d'une part, un devoir de conseil, d'autre part, d'un devoir d'assurer l'efficacité de l'acte dont il est le rédacteur et il lui appartient de prendre toutes dispositions utiles à cette fin.

Or, il est constant et non contesté que l'opération litigieuse d'achat de quirats avait un but exclusivement fiscal en ce que M. Alain S entendait bénéficier, à l'occasion de l'acquisition de quirats, des avantages résultant des dispositions alors en vigueur et spécialement des articles 238 bis HA à HC du Code général des impôts tels qu'ils résultaient de la loi du 11 juill. 1986 dite "loi Pons", permettant aux acquéreurs de quirats de déduire fiscalement de leurs revenus les déficits dégagés par une telle acquisition, la plaquette très documentée établie pour présenter l'opération de 'copropriété de navire Viking Explorer' insistant d'ailleurs sur cet aspect.

Il est tout aussi incontestable que cet objectif n'a pu être atteint puisqu'il a été définitivement jugé par les juridictions administratives (jugement du tribunal administratif de Dijon du du 26 mars 2002 confirmé par arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon du du 1er févr. 2007 ) que, les conditions légales n'étant pas remplies, M. Alain S. ne pouvait bénéficier de la défiscalisation escomptée ; ces décisions revêtues de l'autorité de chose jugée ne pouvant être remises en cause, il en résulte que le transfert de propriété du navire n'a pas eu lieu avant le 31 déc. 2005, ce qui empêche les quirataires d'invoquer le bénéfice des dispositions fiscales dont ils entendaient se prévaloir puisque le permis de navigation et l'acte de francisation n'ont été délivrés que le 26 avr. 2006, que le navire n'a été assuré par la copropriété que le 3 mai 2006 et qu'un procès-verbal de recette porte lui-même cette date du 3 mai 2006.

Pour contester tout manquement à ses devoirs professionnels, M. Jean-Marie D fait essentiellement valoir que les documents qui étaient en sa possession antérieurement à l'acte d'acquisition établissaient que toutes les conditions requises pour la bonne fin de l'opération étaient réunies, alors que l'administration fiscale s'est appuyée sur des investigations postérieures à cette acquisition pour décider que le navire Viking Explorer n'avait pas été livré avant la fin de l'année 1995 ; que, notamment, la société Viking lui avait remis un procès-verbal de recette du 26 déc. 1995 signé par la société Ocea, constructeur du navire, et par elle-même, indiquant :

'{Le navire a subi avec succès les essais prévus au contrat .... le chantier OCEA SA a remis les documents de bord habituels....la jauge et le franc-bord aux essais sont satisfaisants ....en conséquence de ce qui précède, le navire est considéré comme livré à la date du 26/12/95 à 18 h 00 et pris en charge par l'armateur}'.

Il rappelle que, selon le droit maritime, l'art. 6 de la loi du 3 janv. 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer dispose : "{Sauf convention contraire, le constructeur est propriétaire du navire en construction jusqu'au transfert de propriété au client- Ce transfert se réalise avec la recette de navire après essais' et fait encore état du 'Projet d'acte de francisation' délivré par l'administration des douanes le 5 juillet 1995, lequel mentionnait : 'Le Viking Explorer' a été construit aux Sables d'Olonne - Ocea en 1995... il est actuellement attaché au bureau des douanes LS sous le n° 19163}".

Il convient, toutefois, d'observer que M. Jean-Marie D était nommément désigné dans la plaquette de présentation de l'opération de défiscalisation comme suit : "{les formalités d'acquisition et d'enregistrement seront assurées par Maître D., notaire au Havre}", qu'il avait reçu, outre la convention de copropriété du 26 déc. 1995, l'ensemble des actes de cession de quirats (douze d'entre eux sont mentionnés dans cet acte du 26 déc. 1995 s'étalant entre les mois de juill. et déc. 1995), qu'il était également auteur d'une 'note de synthèse' décrivant les modalités applicables dans une opération qu'il annonçait dans les termes suivants : "{Dans la perspective d'investissements Dom Tom par la SA Compagnie Viking, ayant son siège social au Havre [.....], il est envisagé un programme de mise en chantier de navires de pêche avec la participation d'investisseurs appelés quirataires, propriétaires de parts de bateaux}", toutes circonstances établissant qu'il connaissait parfaitement les tenants et aboutissants de l'opération litigieuse et ne peut soutenir pertinemment qu'il aurait été trompé par un document fallacieux, lequel n'avait pas date certaine et était peu compatible avec le second document émanant des douanes françaises, qualifié de 'Projet', alors qu'il avait l'obligation, dans le cadre de son devoir de vérification, de prudence et de conseil, eu égard à la date de conclusion de l'acte - les tous derniers jours de l'année 1995 - et à l'impératif, pour garantir le succès de l'opération, de livraison du navire avant le délai expirant le 31 déc. suivant, de s'assurer de l'effectivité de la livraison du navire et de la réalité du transfert de propriété à la date requise en exigeant la remise des documents justificatifs de ce transfert ; à cet égard, le fait que l'acte authentique ne fasse aucune référence au procès-verbal de recette du 26 déc. 1995 et se borne à indiquer en termes imprécis et vagues "{le navire de pêche Viking Explorer appartient au vendeur pour le faire construire au cours de l'année 1995"}, ce en dépit de l'importance cruciale attachée à la date de livraison, permet d'ailleurs de douter de l'affirmation de M. Jean-Marie D. selon laquelle ce document aurait réellement été en sa possession lors de la conclusion de l'acte de vente des quirats ; en outre, M. Alain S se réfère pertinemment à plusieurs actes distincts de cession de quirats concernant le même navire, reçus par M. Jean-Marie D. le 31 juill. 1995 à une date à laquelle n'existait pas alors le procès-verbal allégué du 26 déc. 1995, à supposer qu'il ait effectivement existé le 26 déc. 1995.

La défaillance de M. Jean-Marie D à son obligation de prudence ressort encore de l'examen du "permis provisoire de navigation" délivré par l'administration des affaires maritimes le 28 déc. 1995, portant sur la seule journée du 28 déc. et précisant que la demande avait été présentée à cette date par la société OCEA, ce qui n'était guère compatible avec le procès-verbal de recette du 26 déc. précédent affirmant un transfert à cette date de la propriété du navire à la société Compagnie Viking, alors qu'un procès-verbal de recette faisant état d'essais satisfaisants permettant la livraison du navire ne pouvait se concilier logiquement avec une demande d'autorisation d'essais en mer présentée deux jours plus tard par le constructeur du navire et donnant lieu à une autorisation provisoire d'une seule journée accordée par l'administration.

L'ensemble de ces éléments prive de caractère probant et décisif le procès-verbal de recette sur lequel M. Jean-Marie D prétend s'être fondé, au point, ainsi qu'il a été relevé plus haut, qu'il n'en a même pas été fait mention dans son acte authentique ; quant à l'acte de francisation, il s'agissait, selon son intitulé, d'un simple "projet" ne pouvant fonder la certitude d'une livraison du navire au 31 déc. 1995, étant observé que l'acte de francisation n'a été délivré que le 26 avr. 1996.

Il s'ensuit qu'au moment où M. Jean-Marie D a reçu l'acte, soit le 29 déc. 1995, il n'a manifestement pas fait en sorte de s'assurer que celui-ci pourrait avoir l'efficacité attendue au regard des conséquences fiscales ; que c'est donc à juste titre que le tribunal a retenu une faute de sa part.
Référence: 
Référence: - Cour d'appel de Rouen, Ch. civ. 1, 31 oc. 2012 (R.G. N° 11/04824)