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Le 10 août 2019

Les aliénations (ventes) consenties par l'héritier apparent échappent à l'action en résolution dirigée par l'héritier véritable, dès lors qu'il y a eu erreur commune et invincible, et que la bonne foi des tiers (acquéreurs) est certaine. Cette exception aux règles de l'art. 2182 du Code civil, reconnue dans un intérêt supérieur et général, ne saurait dépendre des circonstances dans lequelles le propriétaire apparent s'est emparé de la succession, ni de celles dans lesquelles il a été dépossédé. Peu importe qu'il ait été semblé tenir son titre de la loi ou de la volonté du défunt ; qu'il soit entré en possession sans contradiction ou par l'effet d'une décision judiciaire ; peu importe même que cette entrée en possession ait eu pour origine un testament reconnu faux et que le jugement qui avait attribué au vendeur la qualité d'héritier ait été rétracté.

L'arrêt de la Cour de cassation a été rendu au visa des art.  2182 du Code civil et 501 du Code de procédure civile (CPC).

Adolphe de ... est décédé, sans laisser d'héritier à réserve, le 10 février 1885, après avoir institué, par testament authentique du 9 juin 1880, Alphonse de Y... de Bréon légataire universel, et fait des legs particuliers, notamment aux consorts de Z... ; de Bréon est entré en possession de la succession et a délivré les legs particuliers ; Edouard de X..., frère du défunt, a excipé, en 1886, de deux testaments olographes, datés des 13 et 14 janvier 1885, qui révoquaient le testament du 9 juin 1880 ;  l'écriture de ces testaments ayant été méconnue, une instance s'engagea entre Edouard de X..., d'une part, de Y... de Bréon et les consorts de Z..., d'autre part ; qu'elle fut terminée par un arrêt de la Cour d'appel d'Angers, du 9 juin 1890, qui déclara que lesdits testaments étaient de la main d'Adolphe de X... et que la succession de ce dernier appartenait à son frère Edouard ;  le 24 mai 1892, un arrêt de la cour d'assises de la Seine a déclaré la fausseté des testaments datés des 13 et 14 janvier 1885, et a condamné Guyard, notaire au Bourg-d'Iré, coupable de les avoir fait fabriquer ; le 3 août suivant, la cour d'Angers, saisie par la voie de la requête civile, a rétracté son arrêt du 9 juin 1890 ; et enfin, le 9 janvier 1893, elle a remis Y... de Bréon et les consorts de Z... en possession des biens dépendant de la succession d'Adolphe de X... et condamné Edouard de X... à les leur restituer.

L'arrêt attaqué constate, en outre, qu'à la date du 24 mars et à celle du 31 mars 1891 Edouard de X... a vendu à A... et joints, les demandeurs en cassation, différents biens dépendant de la succession de son frère Adolphe et compris dans le legs particulier fait aux consorts de Z... par le testament authentique ; il constate enfin la bonne foi des acheteurs qui ont traité sous l'empire de l'erreur résultant de la chose jugée ; 'il les condamne néanmoins à restituer aux consorts de Z... les immeubles que ces derniers revendiquaient, par ce motif que le testament authentique du 9 juin 1880 a dépouillé Edouard de X... de la saisine légale de la succession de son frère ;  l'arrêt du 9 juin 1890, qui avait déclaré ce testament révoqué, a été lui-même rétracté ; Edouard de X... n'a donc été qu'un usurpateur de ladite succession, sans qualité pour consentir une aliénation portant atteinte au droit de propriété des héritiers.

Mais, en droit, les considérations d'ordre public et d'intérêt général qui ont conduit à reconnaître la validité des ventes passées entre l'héritier apparent et les tiers de bonne foi n'autorisent pas à la subordonner aux conditions dans lesquelles celui qui est regardé par tous comme le successeur du défunt s'est emparé de la succession ni à celles dans lesquelles il en a été dépossédé ; il importe peu, au point de vue des tiers, que l'héritier apparent semble tenir son titre de la loi ou de la volonté du défunt ; qu'il soit entré sans contradiction en possession des biens héréditaires ou qu'une décision de justice, ayant acquis l'autorité de la chose jugée, l'en ait déclaré propriétaire ; qu'il n'importe pas davantage qu'un crime ait été commis par l'héritier apparent ou par un tiers à son insu, comme dans l'espèce, crime qui lui a permis de passer pour héritier, ni que le jugement qui lui avait reconnu cette qualité ait été rétracté. Dès lors l'erreur commune et invincible ainsi que la bonne foi des tiers sont établies, les aliénations consenties par l'héritier apparent échappent à toute action en résolution dirigée par l'héritier véritable.

C'est là une exception nécessaire tant à la règle générale posée dans l'art. 2182 du Code civil  qu'aux effets particuliers de l'administration de la requête civile que détermine l'art. 501 CPC (ancien).

D'où il suit qu'en condamnant A... et joints, dont il constatait la bonne foi et l'erreur, à restituer aux consorts de Z... les biens qui leur avaient été vendus par Edouard de X..., l'arrêt attaqué a faussement appliqué et, par suite, violé les articles ci-dessus visés.

Référence: 

- Cour de cassation, Chambre civile, 26 janvier 1897