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Le 22 octobre 2020

 

Il résulte des dispositions de l'article 1341-2 du Code civil, anciennement 1167, que le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d'établir, s'il s'agit d'un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude.

La donation partage est un acte à titre gratuit.

Il est constant que la fraude peut s'entendre de la seule connaissance qu'a le débiteur du préjudice qu'il cause à son créancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité et c'est à la date de l'acte par lequel le débiteur se dépouille que le juge doit se placer pour déterminer s'il y a eu fraude ou non.

En l'espèce, la chronologie des actes permet de s'interroger sur l'existence d'une fraude paulienne.

  • Par acte du 11 janvier 2012, la SA CM-CIC bail a consenti à la société Savoie TP un crédit-bail portant sur un véhicule Renault utilitaire à benne, garanti, suivant acte séparé du même jour, par l'engagement de caution solidaire de M. Claude B., cogérant de la société Savoie TP, limité à la somme de 86 829,60 euros.
  • Le 6 février 2012, M. Claude B. a renseigné une 'fiche patrimoniale - renseignements concernant la caution personne physique' dont il ressort qu'il est marié sous le régime de la séparation de biens et proprietaire d'un immeuble à Rumilly (74) constituant son habitation principale qu'il évalue à la somme de 300 000 euros.
  • Le 10 septembre 2012, par acte authentique reçu par maître S. notaire à Rumilly, M. Claude B., alors âgé de 29 ans, a consenti à ses deux filles alors âgées de 4 et 2 ans, une donation partage de la nue propriété de cette maison.
  • Le 19 février 2013, la société Savoie TP était placée en redressement judiciaire, avant que sa liquidation judiciaire soit prononcée suivant jugement du 10 octobre 2013.

Sans établir à elle seule la faute paulienne, cette chronologie et l'âge des protagonistes créent une indiscutable présomption.

A l'inverse, si la fiche de renseignement de M. Claude B., faisant état de la propriété de cet immeuble évalué à la somme de 300 000 euros, peut parfaitement servir de moyen de preuve dans le cadre d'un débat sur la disproportion de l'engagement de caution, le fait qu'elle ait été renseignée postérieurement au dit engagement ne permet pas de considérer que la SA CM-CIC bail a accepté la garantie de M. Claude B. en considération de la propriété de cet immeuble et donc que la donation partage de la nue propriété du dit immeuble serait frauduleuse; mais, ainsi que le souligne la SA CM-CIC bail, l'action paulienne peut être diligentée par un créancier à l'encontre d'actes réalisés par son débiteur portant sur des biens dont le créancier n'avait pas connaissance au moment de la souscription de l'engagement de caution.

Il est, en revanche, une considération, qui corrobore de manière plus convaincante le caractère frauduleux de la donation partage, qui tient à la connaissance qu'avait M. Claude B. des difficultés financières que connaîssait le débiteur principal, la société Savoie TP, dont il était cogérant, à la date à laquelle il a consenti la donation partage, ainsi que cela ressort de l'arrêt rendu par la première chambre de la cour de Chambéry le 6 septembre 2016, dans une affaire concernant également des engagements de caution de M. Claude B. garantissant des concours accordés à la même société Savoie TP, mais par un autre créancier, la banque Laydernier.

En tout premier lieu, cette décision démontre que M. Claude B. avait d'autres engagements de caution garantissant d'autres concours consentis au même débiteur, la société Savoie TP, par un autre créancier, la banque Laydernier, pour certains à des dates extrêmement proches de celui de la SA CM-CIC bail.

La banque Laydernier a consenti à la société Savoie TP un prêt professionnel de 40 000 euros le 2 juillet 2010 et une facilité de caisse de 50 000 euros le 16 novembre 2011, soit quelques semaines avant le crédit bail consenti par la SA CM-CIC bail.

Il apparaît également que la banque Laydernier a dû mettre fin à la ligne d'escompte consentie à la société Savoie TP par courrier du 8 août 2012, soit un mois avant la donation partage consenti le 10 septembre 2012.

Il peut, en outre, être constaté que cette même décision énonce qu' « il ne peut qu'être relevé qu'il [M. Claude B.] était propriétaire d'une maison dont il indique qu'elle était évaluée à 300 000 euros, maison qu'il s'est empressé de transmettre à ses deux enfants dans le cadre d'une donation partage dès le 10 septembre 2012, soit au moment où la société [Savoie TP] connaîssait des difficultés de trésorerie, cherchant ainsi à réduire ses capacités de remboursement. »

Enfin, les consorts B., analysant aux termes de leurs écritures les causes du redressement judiciaire de la SA CM-CIC bail, exposent (en page 10 de leurs conclusions) que, de septembre 2011 à décembre 2012, une société AAC Maçonnerie a été filiale de la société Savoie TP, qui devait apporter à cette dernière le bénéfice de travaux de maçonnerie rentables mais que l'ensemble des chantiers apportés étaient déficitaires obérant les comptes de la société Savoie TP.

Il ne peut, en conséquence, qu'être, a minima, retenu que M. Claude B., en consentant à ses deux enfants, le 10 septembre 2012, une donation partage de la nue propriété de l'immeuble qui constituait l'essentiel de son patrimoine, avait connaissance du préjudice qu'il causait à son créancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité.

La donation partage du 10 septembre 2012 est déclarée inopposable à la SA CM-CIC bail.

M. Claude B. sera condamné seul, compte tenu du manque de discernement de ses deux filles lors de la donation partage, à payer à la SA CM-CIC bail la somme de 4.000 EUR en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile aux titres de la première instance et de celle d'appel.

Il supportera les dépens exposés tant en première instance qu'en appel.

Référence: 

- Cour d'appel de Chambéry, 2e chambre, 15 octobre 2020, RG n° 19/00272