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Le 15 mai 2022

 

Mme Y est propriétaire d’une parcelle sise 1603 route de Charros à Saint-Nauphary (Tarn et Garonne) comportant sa maison d’habitation et un chenil dans lequel elle exploite l’Eurl Dog’s City exerçant l’activité d’élevage de chiens.

Elle a acquis selon acte authentique du 15 mai 2017, passé devant maître Z, notaire à Villebrumier, quatre parcelles de terrain à bâtir contiguës à sa propriété d’une surface totale de 3.000 m2 cadastrées section B n° 970, 973, 974 et 977 pour un prix de 66.000 €.

Par acte d’huissier de justice du 8 octobre 2018, Mme Y a fait assigner maître Z devant le tribunal de grande instance de Montauban au visa de l’article 1240 du code civil afin de l’entendre condamner à lui payer la somme de 69.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice découlant du manquement qu’il aurait commis à son devoir de conseil.

Par jugement contradictoire du 26 mars 2019, le tribunal de grande instance de Montauban a :

- condamné maître Z à payer à Mme Y la somme de 3.000 EUR au titre de son manquement au devoir de conseil dans le cadre de la vente réalisée le 15 mai 2017 ;

- condamné maître Z à payer à Mme E F la somme de 1.800 € au titre de l’article 700 2° du code de procédure civile, à charge pour elle de renoncer au bénéfice de l’aide juridictionnelle ;

- condamné maître Z aux dépens ;

- prononcé l’exécution provisoire.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que le fait qu’il soit mentionné dans les paragraphes intitulés l'obligation d’information sur les limites du terrain’ et 'information relative à la construction, aux aménagements et aux transformations’ figurant dans le compromis et dans l’acte de vente, que l’acquéreur avait l’intention de construire sur le terrain, démontre d’une part que le caractère constructible du terrain était bien entré dans le champ contractuel et d’autre part que le notaire était ainsi tenu de procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer la faisabilité d’un éventuel projet de construction.

Il a constaté que le notaire avait veillé à retranscrire dans le compromis et l’acte de vente le certificat d’urbanisme pré-opérationnel délivré par la mairie le 30 septembre 2016 et notamment le paragraphe mentionnant que la parcelle était à proximité d’une ICPE (élevage de 16 chiens), ce qui impliquait des prescriptions pour le propriétaire du chenil, mais que, connaissant l’intention de Mme Y de faire construire sur le terrain, il lui appartenait d’annexer à l’acte les pièces détaillant les prescriptions pour le propriétaire du chenil et de rapporter la preuve qu’il avait informé Mme Y de leur contenu et de ses implications combinées avec celles de l’article L.111-3 alinéa 1 du code rural.

Il a estimé que le notaire n’était pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences personnelles de son client et que le récépissé produit par Mme Y ne suffisait pas à rapporter la preuve qu’elle connaissait les prescriptions applicables.

Il a jugé en conséquence que la responsabilité de Maître Z était engagée au titre d’un manquement à son devoir de conseil.

Sur le préjudice, le tribunal a considéré que si aucune construction ne pouvait être édifiée à moins de 100 mètres tant que l’activité du chenil était effective, le terrain acquis par Mme Y restait un terrain constructible au regard des règles d’urbanisme applicables et que son préjudice ne pouvait donc pas se confondre avec la différence entre le prix payé et celui d’un terrain inconstructible. Il a estimé que le préjudices’analysait comme une perte de chance de ne pas acquérir ou d’acquérir à un moindre prix et a alloué à Mme Y une indemnité de 3.000 EUR.

Par déclaration en date du 4 avril 2019, Mme Y a relevé appel de ce jugement en ce qu’il a fixé à la somme de 3000 € le montant des dommages et intérêts accordés au titre du manquement au devoir de conseil de Maître Z dans le cadre de la vente réalisée le 15 mai 2017.

MOTIFS

Le notaire est responsable sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du code civil des manquements qui peuvent être établis à son obligation de conseil et à l’obligation qui pèse sur lui d’assurer l’efficacité des actes qu’il reçoit.

Il est notamment tenu d’éclairer les parties sur la portée et les conséquences des actes auxquels il prête son concours, en procédant à la vérification de faits et des conditions nécessaires pour assurer l’utilité et l’efficacité de ces actes. A cet effet, il doit rechercher l’intention des parties afin de pouvoir lui donner la forme juridique la plus adaptée.

Il appartient au demandeur, pour mettre en cause cette responsabilité, de rapporter la preuve de la faute qu’il invoque, du préjudice qu’il subit et du lien de causalité entre ces deux premiers éléments.

En l’espèce, il est indiqué au compromis de vente signé entre M. Misik en qualité de vendeur et Mme Y en qualité d’acquéreur le 23 janvier 2017, en vue de la vente des parcelles cadastrées section B n° 970, 973, 974 et 977, au paragraphe relatif à l’usage du bien (page 3) : 'Le vendeur déclare que le bien est actuellement sans usage particulier. L’acquéreur déclare qu’il entend l’utiliser à usage de terrain d’agrément'.

Figurent également dans ce compromis, mais aussi dans l’acte de vente du 15 mai 2017 passé devant Maître Z un paragraphe intitulé 'Obligation d’information sur les limites du terrain’ ainsi rédigé : 'En application des dispositions de l’article L.115-4 du code de l’urbanisme, l’acquéreur ayant l’intention de construire sur le terrain vendu un immeuble en tout ou en partie à usage d’habitation, le vendeur précise qu’un bornage effectué par géomètre-expert a fixé les limites du terrain (…)', ainsi qu’un paragraphe intitulé 'Information relative à la construction, aux aménagements et aux transformations' débutant en ces termes : 'Le notaire soussigné informe l’acquéreur dans la mesure où il projette d’effectuer des constructions, des aménagements et des transformations et ce quelle qu’en soit la destination (…)'.

Mme Y soutient que son projet était de faire deux lots dont un destiné à agrandir sa propriété par une bande de 10 mètres le long de sa propriété initiale supportant le chenil, et l’autre destiné à la revente comme terrain à bâtir, comme indiqué dans le jugement dont appel, ou à la construction sur la surface restante d’un immeuble destiné à la revente à un tiers, comme indiqué dans ses conclusions d’appel.

Maître Z ne conteste pas que Mme Y a acquis de M. Francone une bande de terrain de 10 mètres de largeur, située sur la partie de son terrain opposée à celle jouxtant la propriété de M. Misik et il ne discute pas plus qu’il est le notaire testamentaire de Mme Y et avait de ce fait connaissance de la constitution et del’historique de la constitution de son patrimoine. Il n’est toutefois absolument pas démontré que Mme Y lui avait fait part d’un quelconque objectif de construction ou de revente de la parcelle acquise ou de son intention de procéder à la division de cette parcelle.

En revanche, le fait qu’il soit mentionné dans les paragraphes intitulés 'Obligation d’information sur les limites du terrain’ et 'information relative à la construction, aux aménagements et aux transformations’ figurant dans le compromis et dans l’acte de vente, que l’acquéreur avait l’intention de construire un immeuble sur le terrain vendu, démontre que le caractère constructible du terrain est bien entré dans le champ contractuel. Le notaire était ainsi tenu de procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer la faisabilité d’un projet éventuel de construction.

Il apparaît qu’il a ainsi veillé à retranscrire dans son intégralité dans le compromis de vente (page 8) le certificat d’urbanisme pré-opérationnel n° CU 82167 16 T0026 délivré par la mairie de Saint-Nauphary le 30 septembre 2016 mentionnant notamment :

'Cadre 4 : Autres périmètres

PPRN : Plan de Prévention des Risques Naturels 'Retrait-gonflement des argiles’ approuvé par arrêté préfectoral n° 05-664 du 25/04/2005.

Votre parcelle est à proximité d’une ICPE : Installation Classée pour la Protection de l’Environnement. Cette installation est un élevage de 16 chiens.

Ceci implique des prescriptions pour le propriétaire du chenil (ci-joint)'.

Ce certificat ainsi que le certificat d’urbanisme d’information délivré par la mairie de Saint-Nauphary le 13 février 2017 ont également été annexés à l’acte de vente.

L’acte mentionne au paragraphe II 'Certificat d’urbanisme d’information', M 11 et 12 :

'Un certificat d’urbanisme d’information délivré par la mairie de Saint-Nauphary dont l’original est annexé a été délivré le 13 février 2017, sous le numéro CU 82167 17 T0008.

Le contenu de ce certificat dont le détail a été intégralement porté à la connaissance de l’acquéreur est le suivant :

- Les dispositions d’urbanisme applicables

- Les servitudes d’utilité publique

- Le droit de préemption

- Le régime des taxes et participations d’urbanisme applicables au terrain

- Les avis ou accords nécessaires

- Les observations.

L’acquéreur :

- s’oblige à faire son affaire personnelle de l’exécution des charges et prescriptions et du respect des servitudes publiques et autres limitations administratives au droit de propriété mentionnées dans ce document au caractère purement informatif ;

- reconnaît que le notaire lui a fourni tous éclaircissements complémentaires sur la portée, l’étendue et les effets de ces charges et prescriptions'.

A la suite de la notification d’un certificat d’urbanisme opérationnel n° CU 82167 18 T0019 en date du 6 avril 2018, il a été notifié à Mme Y le 12 avril 2018 un avis du préfet de Tarn et Garonne sur cette demande de certificat d’urbanisme :

' Par courrier reçu dans mes services le 2 mars 2018, vous sollicitez mon avis sur une demande de certificatd’urbanisme déposée dans la commune de Saint-Nauphary le 26 février 2018 par Mme Y A pour la construction d’une maison à usage d’habitation de 180 m² environ.

Je vous informe que Madame Y exploite un chenil soumis au régime de la déclaration au titre de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement.

Ce chenil, situé sur les parcelles […], 820, 822 et 824, jouxte le terrain acquis par Mme Y sur lequel elle projette la construction d’une maison.

Je vous précise que les règles d’implantation prescrites par l’arrêté ministériel du 8 juin 2006 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées soumises à déclaration sous la rubrique n°

2120 'élevage, vente, transit etc. de chiens’ exigent que les bâtiments d’élevage, les annexes et les parcsd’élevage soient implantés à au moins 100 mètres des habitations des tiers (à l’exception des logements occupés par les personnels de l’exploitation) ou des locaux habituellement occupés par des tiers, des stades ou des terrains de camping agréés, ainsi que des zones destinées àl’habitation par des documents d’urbanisme opposables aux tiers'.

Le premier juge a retenu un manquement à l’obligation d’information du notaire aux motifs que, alors qu’il connaissait l’intention de Mme Y de faire construire une maison sur le terrain acquis, n’ont pas été annexées à l’acte les pièces détaillant les prescriptions pour le propriétaire du chenil et rappelant les prescriptions générales applicables aux installations classées soumises à déclaration sous la rubrique 2120 :

'Elevage, vente, transit de chiens’ qui exigent que les bâtiments d’élevage, les annexes et les parcs d’élevage soient implantés à au moins 100 mètres des habitations des tiers, et qu’il ne rapportait pas la preuve qu’il avait informé Mme Y du contenu de ces pièces et de leurs implications combinées avec celles de l’articleL.111-3 alinéa 1 du code rural et de la pêche maritime prévoyant que 'lorsque des dispositions législatives ou réglementaires soumettent à des conditions de distance l’implantation ou l’extension de bâtiments agricoles vis-à-vis des habitations et immeubles habituellement occupés par des tiers, la même exigence d’éloignement doit être imposée à ces derniers à toute nouvelle construction et à tout changement de destination précités à usage non agricole nécessitant un permis de construire, à l’exception des extensions de constructions existantes'.

Une telle information aurait été absolument nécessaire si le terrain avait été acquis par un tiers dans l’intention de construire dès lors que la présence du chenil rendait toute construction impossible.

L’analyse du premier juge doit être admise même si Mme Y était déjà informée des prescriptions opposables à son activité, notamment en termes d’implantation, le Préfet de Tarn et Garonne ayant donné récépissé à Mme Y le 27 juin 2005 de sa déclaration relative à la création d’un élevage de 16 chiens, ce document précisant que les prescriptions générales figurant sous la rubrique 2120-2 de la nomenclature des établissements dangereux, insalubres ou incommodes, établie par le décret du 20 mai 1953 modifié, devraient être rigoureusement respectées. Le notaire n’est en effet en principe pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences personnelles de son client.

En revanche, Mme Y ne rapporte pas la preuve de la réalité de son préjudice et de son lien de causalité avec un manquement du notaire.

Il est en effet constant que les parcelles de terrain à bâtir acquises par Mme Y sont constructibles au regard des règles d’urbanisme, qu’elle peut faire construire une maison sur ce terrain pour son usage personnel ou celui du personnel de l’exploitation et que l’impossibilité pour des tiers de construire sur le terrain ne résulte que de l’exploitation par Mme Y de son élevage de chiens.
En outre, il suffit à Mme Y de mettre un terme à son activité d’élevage, ou simplement de la réduire, le classement ICPE se faisant à partir de 10 chiens sans compter les chiots de moins de quatre mois , pour revendre le terrain à bâtir ou la maison déjà construite déliés de toute prescription du fait de la proximité d’une Installation Classée pour la Protection de l’Environnement, étant précisé que son élevage était de 16 chiens selon sa déclaration du 27 juin 2005 et qu’il n’est pas justifié du nombre de chiens actuellement détenus.

Dans ces conditions, contrairement à ce qu’elle soutient, Mme Y ne démontre absolument pas qu’ellen’aurait pas acquis le bien si elle avait été pleinement informée par le notaire des restrictions pesant sur les possibilités de construire pour l’acquéreur du terrain contigu à son élevage de chiens.

Il convient en conséquence d’infirmer le jugement entrepris et de débouter Mme Y de sa demande de dommages et intérêts.

Référence: 

- Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 31 Janvier 2022, RG n° 19/01616