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Le 26 octobre 2019

 

M. D A et Mme B C veuve A ont demandé au Tribunal administratif de Grenoble de condamner in solidum, sinon, conjointement ou séparément, SNCF Réseau et SNCF Mobilités à leur payer une indemnité totale de 371. 621 euro, avec intérêts au taux légal à compter de l’enregistrement de leur demande et capitalisation des intérêts, en réparation des conséquences dommageables de la présence et de l’exploitation de la ligne à grande vitesse Méditerranée à proximité de leur propriété située sur le territoire de la commune de Chabeuil (Drôme) et de mettre à la charge in solidum, sinon, conjointement ou séparément, de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités les entiers dépens ainsi qu’une somme de 4. 000 euro sur le fondement de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative.

Par un jugement du 8 juin 2017, le tribunal a condamné SNCF Réseau à payer aux consorts A une indemnité totale de 190. 121 euro, outre certaines sommes, mais a rejeté certaines demandes.

Appel a été relevé.

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Le maître de l’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tierstant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu’ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.

Les consorts A ayant la qualité de tiers par rapport à l’ouvrage public que constitue la ligne ferroviaire à grande vitesse Méditerranée implantée à proximité de leur propriété, la responsabilité de SNCF Réseau, maître de cet ouvrage public, est susceptible d’être engagée, même sans faute, à leur égard et à raison des dommages permanents causés par la présence et par le fonctionnement de cet ouvrage public. Il appartient aux consorts A d’apporter la preuve de la réalité des préjudices qu’ils allèguent avoir subis, de l’existence d’un lien de causalité entre l’ouvrage public et leurs préjudices et du caractère grave et spécial de ces préjudices.

Réparation des préjudices

En ce qui concerne les troubles dans les conditions d’existence :

En premier lieu, il résulte de l’instruction, et notamment du rapport du 29 avril 2010 de l’expertise prescrite par l’ordonnance n° 0405680 du 12 mai 2005 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble et de l’annexe 3 à ce rapport intitulée « fiche de mesures n° 240 », que la propriété de M. A et de Mme C veuve A comprend, sur une superficie de plus de six hectares, une villa occupée par ceux-ci, une maison jumelée à proximité et composée de deux logements loués, des bâtiments agricoles et des terres agricoles et que l’ensemble des bâtiments à usage d’habitation est situé à une distance d’environ 180 mètres de la ligne à grande vitesse Méditerranée. Il ressort dudit rapport d’expertise que le niveau de bruit équivalent sur la période de mesures (LAeq), au droit de la villa, est de 43 dB(A) en période diurne, de 6 h à 22 h, et de 31 dB(A) en période nocturne, de 22 h à 6 h. Si ces chiffres sont inférieurs, pour la période diurne, au seuil de LAeq de 62 dB(A) entre 8 h et 20 h, qui correspond aux engagements pris par l’Etat en matière phonique au moment de la réalisation de ladite ligne à grande vitesse et s’ils n’excèdent pas les seuils fixés par l’article 2 de l’arrêté du 8 novembre 1999 relatif au bruit des infrastructures ferroviaires, l’expert relève que les habitations des consorts A… se situaient, avant l’implantation de cette ligne, dans une zone calme, que, lors du passage des trains à grande vitesse, succède à une ambiance calme, dans cette zone peu urbanisée, une ambiance extrêmement bruyante pendant 20 à 30 secondes, que, lorsque les trains circulent du sud vers le nord, un bruit comparable à celui d’un avion à réaction monte vers la propriété A et que, durant la période diurne, de 6 h à 22 h, a été mesuré un niveau maximum du bruit au passage d’un train (LpAmax) de 75 dB(A) et un LpAmax de 68,7 dB(A) pour les dix trains les plus bruyants. Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise du 29 avril 2010 et du rapport du 7 août 2003 de la mission du conseil général des ponts et chaussées, que le niveau sonore sur la propriété A… augmente au passage des trains sur le pont-rail au-dessus de la route départementale 68, distant d’environ 220 mètres de cette propriété et qui, dépourvu de protection acoustique efficace, laisse passer un flux sonore important. Si SNCF Réseau a produit un procès verbal de travaux de « protections phoniques complémentaires » réalisés en 2008 sur ce pont-rail et des photographies de ce dernier après ces travaux, l’expert a constaté en avril 2010 que n’étaient pas mises en oeuvre sur le pont-rail des protections acoustiques efficaces vis-à-vis de la propriété A. Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise, de l’annexe 3 à ce rapport, et des chiffres du trafic sur la ligne au niveau de Chabeuil, que l’expert a retenu en avril 2010 une moyenne de 130 passages de trains à grande vitesse et que le trafic moyen journalier annuel s’est établi entre 131 et 146 trains entre les années 2011 et 2016. Il résulte également de l’instruction que la présence du pont-rail dans un environnement initialement champêtre constitué de terres agricoles entourant les maisons d’habitation des consorts A, visible depuis les terrasses de ces maisons, est source d’un préjudice visuel pour ceux-ci. Dans ces conditions, et alors même que la propriété A ne constituerait pas un point noir du bruit du réseau ferroviaire au sens de l’article D. 571-54 du Code de l’environnement et de l’arrêté ministériel du 3 mai 2002 pris pour son application, les nuisances sonores et visuelles cumulées et générées par la présence et le fonctionnement de la ligne ferroviaire à grande vitesse Méditerranée à proximité de la propriété des consorts A excèdent celles que peuvent normalement être appelés à subir, dans l’intérêt général, les riverains d’un tel ouvrage et sont à l’origine de troubles dans leurs conditions d’existence qui présentent le caractère d’un dommage grave.

En deuxième lieu, si SNCF Réseau soutient qu’il existe plus de deux cents habitations situées, dans les communes de Chabeuil et de Montvente, à proximité immédiate de la ligne à grande vitesse Méditerranée ou à des distances moindres que celle séparant la propriété A de ladite ligne, il résulte de l’instruction, et notamment de l’extrait de plan annexé au rapport d’expertise, que sont au nombre maximal d’une dizaine environ seulement les propriétés, dont celles des consorts A…, subissant les nuisances sonores spécifiquement générées par le passage des trains sur le pont-rail au-dessus de la route départementale 68, dépourvu de protection acoustique efficace, et les nuisances visuelles résultant de la présence de ce pont-rail. Dans ces conditions, les troubles dans les conditions d’existence subis par M. A et Mme C veuve A du fait de ces nuisances sonores et visuelles cumulées présentent le caractère d’un dommage spécial.

En dernier lieu, compte tenu de ce qui a été dit sur la consistance de la propriété A et sur l’importance du trafic ferroviaire et des nuisances sonores et visuelles subies, il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d’existence, notamment de jouissance, subis par les consorts A du fait de ces nuisances depuis l’implantation et l’exploitation de la ligne ferroviaire à grande vitesse Méditerranée en les évaluant à la somme de 20. 000 euro.

Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’ordonner la mesure d’instruction sollicitée par les consorts A ni d’examiner leur moyen tiré de la responsabilité pour faute, que SNCF Réseau n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble l’a condamné à payer une indemnité de 20. 000 euro en réparation des troubles dans les conditions d’existence, notamment de jouissance, subis par M. A et Mme C veuve A. Pour les mêmes motifs, ces derniers ne sont pas fondés à soutenir, par la voie de l’appel incident, que c’est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif a limité à cette somme la réparation de ces troubles.

En ce qui concerne le remboursement des travaux d’isolation phonique :

Contrairement à ce que soutient SNCF Réseau en appel, les consorts A ont justifié, par la production en première instance de deux factures du 23 décembre 2010 et d’une facture du 7 mars 2011, avoir supporté le coût, pour un montant de 19 316 euros, de travaux d’isolation phonique sur les deux logements afin de continuer à les louer. Par suite, SNCF Réseau n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble l’a condamné à payer une indemnité de 19. 316 euro en remboursement du montant de ces travaux.

En ce qui concerne la perte de la valeur vénale de la propriété immobilière :

La perte de valeur vénale de la propriété de M. A et Mme C veuve A, qui leur ouvre droit à réparation même en l’absence d’intention de mettre leur bien en vente, doit être évaluée en juin 2001, date de mise en service de l’ouvrage public que constitue la ligne à grande vitesse Méditerranée. Si l’expert désigné par le juge des référés du Tribunal administratif évalue à 470 .000 euro, dont 430. 000 euro pour les habitations, le montant total de la valeur vénale de cette propriété comprenant, sur une superficie de plus de six hectares, une villa occupée par les consorts A, une maison jumelée à proximité et composée de deux logements loués, des bâtiments agricoles et des terres agricoles, à partir d’une estimation faite par une agence immobilière en fin 2004, il ressort des termes de cette estimation qu’elle a été faite sans tenir compte de la proximité de la ligne à grande vitesse. Il ne résulte pas de l’instruction que le marché local de l’immobilier, hors incidence de la proximité de cette ligne, ait connu des évolutions significatives entre juin 2001 et fin 2004. Dans ces conditions, il convient de fixer à 470. 000 euro, dont 430. 000 euro pour les habitations, la valeur vénale totale de la propriété A avant implantation de la ligne à grande vitesse. Selon l’estimation précitée de l’agence immobilière, confirmée par l’expert après consultation de notaireslocaux, la perte de valeur vénale des habitations du fait de la proximité de la ligne à grande vitesse est de l’ordre de 30 % à 40 % alors que les bâtiments et terres agricoles ne sont pas concernés, au niveau de leur valeur, par cette proximité. Dans ces conditions, les consorts A ne sont pas fondés à solliciter l’indemnisation d’une prétendue perte de la valeur vénale de leurs bâtiments et terres agricoles et, compte tenu de ce qui a été dit au point 6 sur l’importance du trafic ferroviaire et des nuisances sonores et visuelles générées par la présence et le fonctionnement de la ligne à grande vitesse Méditerranée et la perte de valeur vénale de leurs habitations constitue un préjudice grave et spécial et doit être évaluée à 30 % de cette valeur vénale, à la date de la mise en service de la ligne. Par suite, cette perte s’établit à 30 % de la somme de 430. 000 euro, soit la somme arrondie de 130 .000 euro.

Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’ordonner la mesure d’instruction sollicitée par les consorts A ni d’examiner leur moyen tiré de la responsabilité pour faute, que SNCF Réseau n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Triibunal administratif de Grenoble l’a condamné à payer une indemnité de 130. 000 euro à M. A et Mme C veuve A en réparation de la perte de valeur vénale subie par leur propriété immobilière. Pour les mêmes motifs, ces derniers ne sont pas fondés à soutenir, par la voie de l’appel incident, que c’est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif a limité à cette somme la réparation de ce préjudice.

En ce qui concerne la perte de loyers :

Contrairement à ce que soutient SNCF Réseau en appel, les consorts A ont justifié devant les premiers juges avoir subi une perte de loyers d’un montant de 20. 805 euro du fait de l’implantation et du fonctionnement de la ligne ferroviaire à grande vitesse Méditerranée depuis 2001. Par suite, SNCF Réseau n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, leTribunal administratif  l’a condamné à payer une indemnité de 20. 805 euro en réparation de cette perte passée de loyers.

D’autre part, les consorts A n’ont pas droit à l’indemnisation de la perte future de loyers qu’ils allèguent, dès lors qu’ils n’établissent pas le caractère certain de cette perte. Par suite, ils ne sont pas fondés à soutenir, par la voie de l’appel incident, que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs conclusions tendant à la réparation de ce préjudice.

Référence: 

- Cour administrative d'appel de Lyon, 6e chambre, 17 octobre 2019, req. 17LY03085, Inédit au recueil Lebon