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Le 04 juin 2020

 

L'acte authentique de vente du 30 septembre 2008 précise que le bien vendu consiste en « une maison de 3 pièces, cuisine, salle de bains, wc, véranda, garage, sur terrain d’environ 7500 m² avec remise en pierre, sur un terrain d’essence végétale locale, et terrain attenant cadastré (e) section G n° 921 et 923  » ; il précise que le terrain se situe en zone non constructible (zone agricole) du plan d’occupation des sols de la commune approuvé le 30 octobre 1980 ; il mentionne que deux permisde construire ont été obtenus le 7 mai 1973 et le 23 octobre 1978 ; le permis de construire du 7 mai 1973 autorise la construction d’un chien abri agricole d’une surface totale de planchers de 35 m², et celui de 1978 autorise l’aménagement d’un logement d’une surface totale de planchers de 58,85 m² sous réserve de certaines modifications .

Les époux X acquéreurs appelants font valoir au soutien de leurs demandes que la villa a une superficie de 110 m² alors que le permis n’autorise que 58,85 m² et que la partie construite sans autorisation concerne la véranda, le garage et l’une des 3 pièces de la maison, une chambre.

Il leur est opposé par les défendeurs, leurs vendeurs, d’abord un moyen tiré de la prescription de leur action .

Mais le tribunal a déjà exactement répondu que la preuve n’est pas rapportée que les époux X acquéreurs auraient eu connaissance de la différence entre la superficie de leur villa et les permis de construire délivrés avant de se procurer ces derniers auprès des services de la mairie d’Aups le 24 décembre 2014 ; en effet la lecture de l’acte authentique et des documents annexés ne permettait pas aux acquéreurs d’avoir connaissance de cette différence, les permis de construire n’étant pas joints à l’acte authentique de vente et le certificat d’urbanisme repris dans l’acte n’ayant pu les renseigner sur ce point .

Les époux X n’ont donc connu les faits leur permettant d’exercer leur action au sens de l’article 2224 du Code civil, qu’à compter du 24 décembre 2014, de sorte qu’ils ont régulièrement fait délivrer l’acte introductif d’instance le 9 juillet 2015, avant l’expiration du délai quinquennal de l’action .

Le jugement qui a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription est donc confirmé .

Les époux Y vendeurs du bien l’ont fait édifier ;  ils n’ont jamais fait état de ce qu’ils avaient réalisé des travaux sans autorisation .

Ils ont déclaré à l’acte authentique, en page 15, que leur villa n’avait fait l’objet d’aucuns travaux depuis moins de 10 ans, ce que le certificat d’urbanisme délivré le 16 mai 2008, annexé à l’acte, confirmait .

Les époux acquéreurs produisent en cause d’appel des plans établis par Mme E, architecte DPLG, qui établit que la partie du bâtiment construite illégalement occupe une superficie de 54,9 m², soit 52,53 % de la superficie totale du bien immobilier laquelle s’élève à 104,5 m² .

Ces relevés sont corroborés par le procès-verbal de constat qui a été dressé par la société d’huissier Odin-Melique le 1er février 2017, le jour de prise de possession des lieux par les époux X, après renonciation par Mme Y à son droit d’usage et d’habitation suite à son admission en EPHAD .

Celle-ci ne discute pas ces éléments factuels .

La partie de la villa illégalement construite, qui correspond à l’extension de la maison par la construction d’une véranda, d’un garage et d’une chambre, figure pourtant dans la désignation en page 3 de leur titre de propriété ; page 19 de leur titre il est indiqué que le bien a fait l’objet de l’obtention de deux permis de construire non annexés à l’acte .

Les époux X acquéreurs démontrent qu’en réalité le 25 juillet 1977 les consorts Y avaient sollicité l’extension de la surface de l’abri agricole pour la porter à 104,4 m², ce qui leur avait été refusé par un arrêté du 20 octobre 1977 et qu’ils ont donc construit au mépris de ce refus, en parfaite connaissance de cause .

Les vendeurs-constructeurs ont ainsi sciemment dissimulé à leurs acquéreurs que leur maison avait été pour moitié édifiée sans autorisation ; cette réticence dolosive a déterminé les époux X à contracter ; ces derniers sont fondés à solliciter la réparation du préjudice qui en est résulté .

S’agissant de l’agent immobilier, celui-ci est responsable de la publication d’une annonce faisant mention expressément que la villa litigieuse avait une surface habitable de 110 m² (« Au pays de la truffe, pour les amoureux de la nature, à seulement 1 km du village, charmante maison de 110 m² (') » .

La SARL JBS conseil, qui admet avoir été le rédacteur de la promesse de vente, a eu en main les permis de construire ; sur la réclamation du notaire, maître C, du 3 septembre 2008, l’agent immobilier a répondu : «L’indication des permis de construire figure au paragraphe premier de la page 3 du compromis dont la copie vous a été adressée. Les originaux de ces documents sont à la possession de votre client qui nous les avait communiqués en son temps ; vous noterez que ces permis ont quasiment plus de 30 ans. » .

L’agent immobilier a manqué de professionnalisme ; ayant une parfaite connaissance de la teneur des permis de construire et des lieux pour les avoir visités à plusieurs reprises, il ne pouvait que constater que le permis de construire délivré en 1978 comportait à l’évidence une surface habitable moitié moindre et qu’il manquait manifestement sur le plan du permis la véranda, le garage et une troisième pièce .

Ce professionnel de l’immobilier a donc engagé sa responsabilité civile délictuelle; sa négligence a laissé croire aux époux acquéreurs que les permis qui avaient été délivrés en 1973 et 1978 autorisaient la construction des 110 m² que l’agent immobilier proposait à la vente .

Sans la faute de JBS Conseil, le dol commis par les vendeurs n’aurait pas pu prospérer, de sorte que leurs fautes respectives ayant également concouru à la réalisation du dommage, l’agent immobilier sera condamné in solidum avec la venderesse à réparer le dommage causé aux époux X .

S’agissant de la responsabilité des notaires, il est constant qu’un notaire n’a pas à opérer de déplacement sur les lieux pour vérifier l’état de l’immeuble vendu et sa consistance.

Au cas d’espèce, ni les déclarations des vendeurs ni le certificat d’urbanisme délivré par la mairie d’Aups le 16 mai 2008 ne permettaient à maître D ou à maître C de suspecter qu’une irrégularité avait été commise à l’occasion de la construction du bien .

En particulier, même si maître C, qui l’a réclamé par une lettre adressée à l’agent immobilier le 3 septembre 2008, avait eu connaissance du contenu du permis de construire accordé en 1978 et notamment du plan joint, ceux-ci ne faisaient pas apparaître de discordance entre la surface habitable autorisée et la désignation du bien immobilier objet de la vente qu’il passait, dans la mesure où il ne ressort d’aucun élément probant que l’un ou l’autre des notaires connaissaient la surface exacte du bien, laquelle n’est mentionnée ni à la promesse de vente ni à l’acte qu’il a instrumenté .

Il ne peut davantage être reproché aux notaires de ne pas avoir réclamé un certificat de conformité des travaux effectués en 1978, cette prescription n’ayant été instaurée qu’ après 1983 et ayant disparu en 2005 au profit d’un système déclaratif .

Aucun manquement à leurs obligations professionnelles ne peut être retenu contre les officiers ministériels (officiers publics) ; il s’ensuit le rejet de toutes les demandes formées contre eux et notamment celle de Mme Y d’être relevée et garantie par le notaire, alors que son dol n’est pas le fait du notaire .

Les défendeurs à l’action indemnitaire soutiennent que leurs agissements n’ont pu causer aucun dommage, faute de risque de démolition de la construction édifiée .

En effet, il est exactement soutenu que les époux X ne risquent plus aucune sanction pénale, dans la mesure où la prescription de l’action publique est de 3 ans à compter de l’achèvement des travaux .

De même, si le juge civil peut être saisi d’une action en responsabilité et ordonner la démolition d’une construction illégale, l’action en démolition fondée sur l’article L480-13 du Code de l’urbanisme est soumise à un délai de prescription de 10 ans à compter de l’achèvement des travaux pour une construction antérieure au 18 juin 2008 .

Ensuite, s’agissant de la sanction administrative encourue, c’est-à-dire d’abord d’une éventuelle action de la commune pour assurer le respect des règles permettant le fonctionnement des services publics ou régissant les activités soumises par la loi à la surveillance de l’administration dans un but d’intérêt général, si cette action est imprescriptible, elle demeure peu probable en l’espèce, le raccordement au réseau de la construction litigieuse n’étant pas discuté par les parties .

En revanche lorsque des travaux importants doivent être engagés sur un immeuble dont tout ou partie a été édifié sans permis de construire, la demande d’autorisation doit concerner non seulement les travaux engagés, mais encore régulariser ceux déjà effectués sans permis .

Les époux acquéreurs, qui n’invoquent pas le risque de démolition du bien qu’ils ont acquis, font donc exactement valoir que le propriétaire d’une construction illégale ne peut pas faire sur le bien acquis des travaux importants sans une régularisation préalable .

La venderesse prétend que cette sanction administrative qui permet à une commune de s’opposer à toute nouvelle autorisation de travaux sur le bien litigieux tant que la construction irrégulière n’est pas régularisée, ne serait pas applicable en présence d’une irrégularité concernant une construction réalisée en vertu d’un permis de construire et achevée depuis plus de 10 ans selon l’article L 111-12 al. 1 du Code de l’urbanisme .

Mais la prescription administrative décennale ne s’applique pas aux travaux qui sont réalisés sans permis et qui bouleversent l’économie du permis de construire obtenu .

En effet depuis la loi n° 2006-8 72 du 13 juillet 2006, lorsqu’une construction est achevée depuis plus de 10 ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux pour des travaux nouveaux ne peut plus être fondée sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme, mais qu’il en va différemment dans les cas particuliers énumérés à l’article L 111-12 de loi, et notamment «  e) Lorsque la construction a été réalisée sans permis de construire » .

Cette disposition vise la situation d’une construction irrégulière, au premier rang desquelles se trouve celle qui a été réalisée différemment du permis, quand la modification bouleverse l’économie du projet notamment parce qu’elle en modifie complètement soit son ampleur (SHON), soit sa nature .

Au cas d’espèce, la construction a fait l’objet d’un permis, mais ce qui a été construit par les époux Y est très différent de ce qui a été autorisé, la SHON étant quasiment double de celle autorisée ; dès lors la prescription administrative décennale ne s’applique pas et la situation du bien ne peut être régularisée que par la délivrance d’un nouveau permis .

Des travaux nouveaux peuvent donc être refusés aux acquéreurs par l’autorité publique en se fondant sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme ;  la mairie d’Aups a déjà fait connaître le 30 avril 2015 aux époux X que « leur projet de régularisation d’une villa de 110 m² nécessite l’obtention d’un permisde construire et que le terrain se situait en zone 'A’ au PLU, zone strictement réservée aux exploitations agricoles  » .

Par ailleurs une attestation de la mairie de la commune d’Aups datée du 10 novembre 2015 établit qu’en cas de sinistre les droits à reconstruire ne seront que ceux des 58, 85 m² autorisés par le permis de construire délivré le 23 octobre 1978, le bien étant édifié en zone agricole ; que seuls des travaux confortatifs des constructions existantes sont autorisés .

L’absence de recours actuel contre des constructions édifiées et l’allégation selon laquelle que les acquéreurs auraient déjà transformé le garage en pièce habitable sont inopérants à cet égard .

Les époux X qui ne peuvent régulariser la situation de leur bien immobilier qui ne peut faire l’objet ni de travaux modificatifs (une extension étant déjà exclue par la situation du bien en zone agricole), ni d’une reconstruction à l’identique en cas de sinistre, et qui ne pourront revendre au prix du marché en raison de ces graves empêchements, subissent un dommage direct, actuel et certain ouvrant droit à réparation .

Il s’ensuit la réformation du jugement qui a rejeté toutes leurs demandes indemnitaires.

Les acquéreurs, qui ne réclament pas la réparation du préjudice entier issu de la perte de valeur du bien immobilier qu’ils ont acquis, et qui ne réclament pas la nullité pour vice du consentement, sont fondés à soutenir que s’ils avaient eu connaissance du caractère illégal des constructions réalisées et de l’inconstructibilité attachée à la personne même du bénéficiaire de la construction, ils n’auraient pas acquis le bien dans les mêmes conditions, voire auraient renoncé à la vente si les vendeurs avaient refusé de diminuer le prix de vente en considération du défaut de la construction et prétendu en obtenir le même prix qu’une construction légale .

Le dol des vendeurs et le manque de professionnalisme de l’agent immobilier ont fait perdre une chance de négocier en connaissant la perte de superficie autorisée, de l’ordre de 54,9 m², soit 52,53 % de la superficie du bien immobilier .

La perte d’une chance ne pouvant équivaloir à la chance perdue, ce préjudice sera entièrement réparé par l’octroi de la somme de 40'000 EUR à titre de dommages intérêts, étant observé que les époux acquéreurs ont l’usage précaire de la superficie illégale acquise .

Et les époux X ont subi divers tracas ; ce préjudice moral sera réparé par l’octroi de la somme de 5'000 EUR à titre de dommages-intérêts .

La venderesse et l’agent immobilier sont donc condamnés in solidum à leur verser la somme de 45'004 EUR à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues, étant relevé que Mme Y ne peut prétendre être relevée et garantie par la société JBS Conseil, le dol lui étant personnellement imputable.

Référence: 

- Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 2 juin 2020, RG n° 18/09312