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Le 21 octobre 2022

 

Le Conseil d'État a annulé, par sa décision du 22 septembre 2022, l'article 750-1 du Code de procédure civileIl reproche l'imprécision du motif légitime justifiant une dispense de préalable amiable obligatoire tenant au délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux de l'affaire pour obtenir un premier rendez-vous avec un conciliateur de justiceIl valide cependant rétroactivement les effets du texte jusqu'au jour de sa décision.

Si le préalable obligatoire a ainsi disparu depuis le 22 septembre 2022, la Chancellerie devrait réécrire le texte sous peu.

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Sue l'article 750-1 du code de procédure civile relatif à l'obligation de tentative préalable de résolution amiable du litige :

Aux termes de l'article 4 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, dans sa rédaction issue de l'article 3 de la loi du 23 mars 2019 précitée : " Lorsque la demande tend au paiement d'une somme n'excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, la saisine du tribunal judiciaire doit, à peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, être précédée, au choix des parties, d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation, telle que définie à l'article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ou d'une tentative de procédure participative, sauf : 1° Si l'une des parties au moins sollicite l'homologation d'un accord ; / 2° Lorsque l'exercice d'un recours préalable est imposé auprès de l'auteur de la décision ; / 3° Si l'absence de recours à l'un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l'indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ; / 4° Si le juge ou l'autorité administrative doit, en application d'une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation. / Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article, notamment les matières entrant dans le champ des conflits de voisinage ainsi que le montant en-deçà duquel les litiges sont soumis à l'obligation mentionnée au premier alinéa. Toutefois, cette obligation ne s'applique pas aux litiges relatifs à l'application des dispositions mentionnées à l'article L. 314-26 du code de la consommation. "

Dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution en précisant en outre qu': " il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir la notion de "motif légitime" et de préciser le "délai raisonnable" d'indisponibilité du conciliateur de justice à partir duquel le justiciable est recevable à saisir la juridiction, notamment dans le cas où le litige présente un caractère urgent. ". Les réserves d'interprétation dont une décision du Conseil constitutionnel assortit la déclaration de conformité à la Constitution d'une disposition législative sont revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée et lient tant les autorités administratives que le juge pour l'application et l'interprétation de cette disposition.

Pour l'application des dispositions de l'article 4 de la loi du 18 novembre 2016 précitée, l'article 750-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue de l'article 4 du décret attaqué, prévoit que : " A peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative, lorsqu'elle tend au paiement d'une somme n'excédant pas 5 000 euros ou lorsqu'elle est relative à l'une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l'organisation judiciaire. / Les parties sont dispensées de l'obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants : / 1° Si l'une des parties au moins sollicite l'homologation d'un accord ; / 2° Lorsque l'exercice d'un recours préalable est imposé auprès de l'auteur de la décision ; / 3° Si l'absence de recours à l'un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l'urgence manifeste soit aux circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu'une décision soit rendue non contradictoirement soit à l'indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l'organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ; / 4° Si le juge ou l'autorité administrative doit, en application d'une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation. "

En premier lieu, contrairement à ce qui soutenu, les dispositions du premier alinéa de l'article 750-1 du code de procédure civile définissent, de façon claire et suffisamment précise, le champ d'application de l'obligation de mise en œuvre d'une tentative préalable de règlement du litige. De même, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le critère du montant de la demande est pertinent pour définir ce champ d'application, et découle au demeurant de la loi elle-même. Par suite, les moyens tirés de ce que ces dispositions méconnaîtraient le principe de clarté et d'intelligibilité de la norme et seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.

En deuxième lieu, il est soutenu que les dispositions de l'article 750-1 du code de procédure civile portent atteinte au principe d'égalité devant la justice, dès lors que certains justiciables peuvent avoir recours à un mode de règlement amiable des litiges payant, qui leur permettrait plus aisément d'échapper à l'irrecevabilité de leur demande en justice, alors que les autres justiciables, ne pouvant avoir recours qu'à la conciliation, qui constitue le seul mode gratuit de règlement amiable des litiges, se trouveraient exposés à une telle irrecevabilité de leur demande s'ils n'arrivent pas à établir l'indisponibilité de conciliateurs de justice. Toutefois, ni les dispositions litigieuses, ni aucune autre disposition du décret attaqué n'instaurent de différence de traitement entre les justiciables faisant le choix de recourir à un conciliateur de justice. Le moyen soulevé n'est donc pas fondé.

 En troisième lieu, le principe même d'une obligation de recourir à une tentative préalable de résolution amiable du litige avant d'introduire une demande en justice a été expressément prévu par l'article 3 de la loi du 23 mars 2019. Par suite, les requérants ne peuvent utilement faire valoir à l'encontre du décret attaqué que cette obligation méconnaîtrait la liberté contractuelle garantie par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen

En quatrième lieu, si la combinaison des dispositions de l'article 750-1 du code de procédure civile avec les dispositions de l'article 820 du même code, qui prévoit la possibilité de saisir le tribunal judiciaire d'une demande aux fins de tentative préalable de conciliation, est susceptible de conduire à ce qu'une telle demande doive être précédée d'une tentative préalable de règlement amiable en application de l'article 750-1, cette seule circonstance n'est pas de nature à caractériser une atteinte à la liberté contractuelle.

 Toutefois, si les dispositions du 3° de l'article 750-1 du code de procédure civile explicitent le fait que l'indisponibilité de conciliateurs de justice permettant de déroger à l'obligation de tentative préalable de règlement amiable prévue à l'article 4 de la loi du 18 novembre 2016 précitée doit être appréciée par rapport à la date à laquelle la première réunion de conciliation peut être organisée, en se bornant à préciser par ailleurs que cette réunion ne doit pas intervenir dans " un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ", elles n'ont pas défini de façon suffisamment précise les modalités et le ou les délais selon lesquels cette indisponibilité pourra être regardée comme établie. S'agissant d'une condition de recevabilité d'un recours juridictionnel, l'indétermination de certains des critères permettant de regarder cette condition comme remplie est de nature à porter atteinte au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens dirigés contre l'article 750-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret attaqué, les requérants sont fondés à en demander l'annulation en tant qu'il ne précise pas suffisamment les modalités selon lesquelles cette indisponibilité doit être regardée comme établie.

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Le Conseil d'État, dans ses considérants, précise que les requérants sont légitimes à « demander l'annulation en tant qu'il ne précise pas suffisamment les modalités selon lesquelles cette indisponibilité doit être regardée comme établie ». La formule pourrait donner l'impression que seule l'incise relative à la dispense fondée sur l'indisponibilité du conciliateur est annulée. Tel ne peut pas être le cas. En effet, l'absence d'atteinte au droit effectif au juge est légitimée par la gratuité du possible recours au conciliateur. Refuser une dispense fondée sur son indisponibilité reviendrait alors à priver du droit au juge ceux qui n'ont pas les moyens de passer par la médiation ou la procédure participative. L'économie du texte étant atteinte, c'est bien l'article 750-1 en son entier qui est annulé.

Référence: 

- Conseil d'Etat, Chambres réunies, 22 septembre 2022, RG n° 436939