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Le 23 septembre 2020

 

M. Z a fait grief au jugement dont appel d’avoir retenu l’existence d’un trouble anormal de voisinage alors que, selon lui, les deux fenêtres en rez de chaussée de M. et Mme X constituent des vues droites qui ne respectent pas les prescriptions de l’article 678 du code civil. Il sollicite par conséquent la suppression des ouvertures litigieuses et à titre subsidiaire la pose de verre dormant en remplacement des fenêtres. Il conteste en outre toute prescription acquisitive, faisant à cet égard valoir qu’il s’agit de jours et non de vues au sens de l’article 676 du code civil, de sorte qu’ils ne peuvent entrainer aucune prescription acquisitive. Il ajoute qu’en tant que propriétaire du fonds servant il ne peut en principe pas demander la suppression des jours mais peut bâtir un mur même à l’extrême limite de son fonds pour les obstruer.

M. et Mme X font quant à eux valoir que M. Z se contredit en invoquant tout à la fois l’existence de vues droites et de jours au sens de l’article 676 précité. Ils soutiennent que les fenêtres sont des vues ainsi qu’en attestent les photographies produites aux débats et qu’elles existent depuis au moins 1971, ce qui leur permet de bénéficier de la prescription acquisitive pour ces vues continues et apparentes et de ce fait d’opposer la servitude de vue à M. Z, indépendamment d’une origine illégale. En outre, ils font valoir que le troubleanormal de voisinage est établi, s’agissant d’une responsabilité objective et précisent que le propriétaire du fonds grevé d’une servitude de vue droite est tenu de ne pas édifier de construction dans un rayon de 19 centimètres (sic) à partir du parement extérieur du mur où l’ouverture est faite.

En vertu de l’article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

Il ressort de l’article 676 du code civil que le propriétaire d’un mur non mitoyen joignant immédiatement l’héritage d’autrui peut pratiquer dans ce mur des jours ou fenêtres à fer maillé et verre dormant.

En application de l’article 678 du même code, on ne peut avoir de vues droites ou fenêtre d’aspect sur l’héritage clos ou non clos de son voisin s’il n’y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage. Toutefois, une servitude de vue, continue et apparente, peut être acquise par prescription trentenaire en application de l’article 690 du même code.

Il appartient donc à la cour de déterminer le caractère des ouvertures litigieuses sur la base des éléments versés aux débats.

Or, il ressort tant des écritures des parties que des pièces produites par les intimés, dont les photographies et éléments constatés par huissier le 22 mai 2018, que se trouvent, au niveau de la buanderie des intimés, une fenêtre à ouverture et, au niveau de leur cellier, une fenêtre à panneau fixe à verre transparent. Il ressort de ces éléments que les ouvertures litigieuses sont des fenêtres, à panneau fixe ou battant, qui permettent de voir à l’extérieur sur la propriété de M. Z et réciproquement, de sorte que ces ouvertures constituent des vues droites et non des jours au sens des articles 676 et 678 du Code civil précité.

En application des articles 688 à 690 du Code civil, la servitude de vue qui s’annonce par des ouvrages extérieurs, tels que des fenêtres, constitue une servitude continue et apparente s’acquérant par titre ou possession acquisitive trentenaire dès lors qu’elle remplit les conditions posées par l’article 2261 du même code, à savoir qu’elle soit paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.

En l’espèce, M. et Mme X revendiquent le bénéfice d’une servitude de vue résultant de la présence des fenêtres litigieuses depuis à tout le moins 1971. Il ressort des photographies produites en pièce 11 par les intimés que les ouvertures en cause existaient précédemment à leur acquisition de la maison sur laquelle elles sont présentes et ce, depuis un temps ancien. Il n’est pas possible de déterminer la date de ces photographies avec précision à leur simple vue. Néanmoins, les nombreuses attestations de voisins ou anciens habitants du village, produites aux débats par M. et Mme X, permettent de corroborer les affirmations de ces derniers quant à l’existence de ces ouvertures qualifiées de fenêtres depuis, à tout le moins 1973.

En effet, l’attestation de Mme V-W AA, née en 1937, reconnaissable sur la première photographie prise devant la maison et faisant figurer les deux ouvertures litigieuses en arrière plan, indique que « les photos sont d’époque ainsi que les états civils des personnes présentes sur les photos ». Les noms et dates de naissance, portés de manière manuscrite sur la photographie, établissent la présence, devant ces fenêtres, d’enfants nés au plus tard le 26 août 1967 et de personnes décédées au plus tôt le 18 juin 1981. L’état civil de Mme V-W AA est conforme à celui porté sur sa carte d’identité produite aux débats. En outre, l’attestation particulièrement précise et circonstanciée de M. L C, domicilié au […] à Boucheporn, soit sur la parcelle […], voisine des parcelles de M. Z et M. et Mme X, et propriétaire depuis le 4 mars 1976, permet de confirmer que les fenêtres litigieuses existaient dès 1973, alors que la maison appartenait à la famille T représentée sur les photographies précitées. M. C y relate en outre la réalisation d’un échange en 2001 entre les parcelles 260 section 2 et 262 section 2 entre le propriétaire du […] et M. C, afin que les « fenêtres s’ouvrent sur son terrain », en parfaite cohérence avec la disposition cadastrale produite aux débats, de sorte qu’est confirmée la présence de ces fenêtres quelques années encore avant acquisition de la maison par les intimés.

Enfin, les attestations de Mme M N, M. O N, M. N P, voisins, de M. Q R, voisin né à Boucheporn en 1943, Mme S R, voisine et M. T U, né à Boucheporn en 1930, relatent toutes que ces personnes, nées ou habitant à Boucheporn depuis plus de 30 ans, ont eu connaissance personnellement et précisément de « fenêtres » situées sur le pignon nord ouest de la maison appartenant aujourd’hui aux intimés.

Dès lors, il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’existence de la servitude apparente et continue de vue, résultant de la présence des ouvertures litigieuses qualifiées de fenêtres par les témoins et apparaissant comme telles sur les photographies, est établie et ce, depuis 1973 à tout le moins. Il n’est pas rapporté la preuve par M. Z de ce que l’existence de cette servitude ait été contestée, par lui-même ou un de ses auteurs.

Par conséquent, à la date de construction du mur objet du litige par M. Z en 2018, le fonds de ce dernier était grevé d’une servitude de vue attachée au fonds dominant de M. et Mme X et acquise par prescription trentenaire, indépendamment de toute appréciation de la légalité initiale de ces vues dès lors qu’elles ne contrevenaient pas à l’ordre public.

Dès lors, la demande reconventionnelle de M. Z tendant à voir supprimer ces vues doit être rejetée, de même que sa demande tendant à voir ordonner la mise en place d’un châssis fixe à verre dormant en leur lieu et place.

Référence: 

- Cour d'appel de Metz, 1ère chambre, 17 septembre 2020, RG n° 19/00241