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Le 07 juin 2020

 

Le 12 juin 1978, M. et Mme Jean-Yves M ont acquis une propriété d'une superficie de 80 ha environ, située [...].

Avec l'association Team Sauvain créée par M. Jean-Yves M dans le but de promouvoir les sports mécaniques, ils mettent leurs chemins de terre à la disposition de constructeurs et pilotes qui le souhaitent, et permettent à leurs enfants, Adrien M, éducateur sportif dans le domaine du motocyclisme, et Michaël M, pilote professionnel, de s'entraîner.

Par acte notarié du 3 février 2003, Mme Fabienne M épouse C.et M. Robert C ont acquis sur la commune de Sauve un ensemble de parcelles en nature de pâture, bois et taillis, d'une superficie d'environ 29 hectares, sur lesquels Mme C exploite un centre équestre à l'enseigne Equinox, ainsi qu'un camping rural.

Par acte du 22 décembre 2014, M. et Mme C ont assigné M. Jean-Yves M. et ses fils, Adrien M et Michaël M, ainsi que l'association Team Sauvain devant le Tribunal de grande instance d'Alès aux fins de voir juger qu'ils sont auteurs de manière fautive d'un trouble anormal de voisinage et pour obtenir l'indemnisation de leurs préjudices.

Le litige a été porté devant la cour d'appel.

. sur la prescription :

L'article 2224 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, soumet les actions personnelles ou mobilières exercées depuis le 19 juin 2008 à un délai de 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le délai de 10 ans à compter de la manifestation du dommage antérieurement applicable à l'action de M. et Mme C en application de l'article 2270-1 du code civil, était expiré lorsque les époux C., qui invoquent le préjudice lié aux inconvénients anormaux de voisinage subi depuis l'acquisition de leur propriété en 2003, ont délivré assignation le 22 décembre 2014.

Si la renonciation à la prescription évoquée par l'article 2248 du Code civil, peut être tacite, elle doit néanmoins résulter de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas s'en prévaloir.

En l'espèce, ni la tardiveté du moyen tiré de la prescription non soulevée par les appelants devant le premier juge, ni l'ancienneté des activités critiquées qu'ils ont invoquée dans le cadre d'une défense au fond, ne constituent des circonstances établissant sans équivoque la volonté des consorts M et de l'association Team Sauvain de ne pas se prévaloir de cette fin de non-recevoir, qui peut être invoquée en tout état de cause, tandis qu'ils expriment clairement aujourd'hui la résolution inverse.

Par ailleurs, M. et Mme C, qui font état d'un préjudice subi depuis l'acquisition de leur propriété en 2003, n'invoquent, ni ne justifient d'une méconnaissance des faits leur permettant d'exercer leurs droits et retardant le départ de la prescription, la continuité du trouble reproché ne pouvant constituer une cause d'interruption, ni de suspension du délai pour agir.

M. et Mme C invoquent également, une aggravation des troubles de voisinage à compter de l'année 2009.

Pour la plupart, les nombreuses attestations produites par les intimés, qui évoquent en termes généraux les nuisances créées par les activités pratiquées sur le fonds M, n'évoquent pas un accroissement caractérisé des manifestations bruyantes à une époque précise.

Toutefois ::

- M. Fabien M, exploitant agricole, dont la propriété se situe à 800 mètres à vol d'oiseau de la propriété M. depuis 2011, rapporte que le fonctionnement du circuit, ponctuel au début, s'est amplifié à partir de 2013 avec les motos, les voitures essai et le jet ski entendus chaque semaine avec de rares accalmies, au point qu'il a dû porter un casque anti-bruit pour travailler à l'extérieur '; il précise qu'en 2012, le concassage de pierres durait tard dans la nuit et tous les jours, en s'ajoutant à celui des sports mécaniques,

- Mme Lizzie G., agricultrice demeurant à la même adresse que M. M, confirme que les activités de courses automobiles, de motos et de jet ski génèrent un bruit répétitif et agressif, souvent insupportable à entendre, dont elle se protégeait en portant un casque anti-bruit dans les champs et souligne que ces activités se sont quasiment produites chaque jour pendant 2 mois au cours de l'été 2013, puis plusieurs jours par semaine, en ajoutant qu'elle apprécie la quasi disparition des courses depuis le procès,

- M. Rudolf S, qui demeure à Sauve depuis 1988, dénonce également les dommages créés par les vrombissements de moteurs, détonations et poussières provenant de la propriété M à partir de l'année 2003, en précisant qu'en 2011, a été entreprise la construction d'une digue de plusieurs centaines de mètres de long pour créer un gigantesque bassin de rétention,

- le 12 octobre 2014, Mme Laurence A, agricultrice, installée depuis 2007 dans le voisinage de M. M, remarque que depuis 3 ans, le problème des bruits incessants des voitures, motos ou jet ski, mais aussi camions ou engins de travaux publics s'intensifie ; elle lui attribue la baisse de son chiffre d'affaire,

- M. Charles L soutient également que le bruit est devenu insupportable depuis 2011,

- de même, le 20 avril 2013, Mme Miranda H, qui fréquente le centre d'équitation Equinox depuis 2006, expose que depuis un an environ, les cours d'équitation sont interrompus, annulés ou modifié à cause des nuisances sonores des voitures ou motos de course voisins, qui rendent les chevaux nerveux et dangereux,

- le 4 juin 2013, Mme Michèle J, dont les enfants suivent les cours du club Equinox depuis plusieurs années, confirme que depuis l'année précédente les bruits de moteurs incessants ont perturbé le déroulement des séances, obligeant Mme C. à modifier les séances,

Ces témoignages, qui ne sont pas contredits par les attestations adverses déniant en termes généraux une réelle gêne sans référence à des périodes précises et datées, consacrent une aggravation certaine des nuisances sonores subies par M. et Mme C en lien avec le développement des activités mécaniques pratiquées sur le fond M. au cours des dernières années.

Au vu des attestations précitées cette aggravation sera retenue à compter du 1er janvier 2012.

Le délai de 5 ans pour agir à compter de cette aggravation n'étant pas accompli à la date de l'assignation délivrée le 22 décembre 2014, M. et Mme C. sont dès lors recevables en leur action au titre des troubles anormaux de voisinage liés à l'aggravation constatée à compter du 1er janvier 2012.

Il est constant que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage et ce, même en l'absence de toute infraction aux règlements.

Tout en visant l'article L 112-16 du Code de la construction et de l'habitation, qui exclut le droit à réparation des occupants d'un bâtiment exposé lorsque les nuisances proviennent d'une activité industrielle, artisanale, commerciale antérieure au permis de construire du bâtiment exposé ou à l'acte constatant son aliénation, s'exerçant en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, les consorts M.ne démontrent pas avoir obtenu l'autorisation d'exercer dans les conditions actuelles les activités de sport mécanique en litige. En outre il est constant et comme cela vient d'être jugé, que le trouble sonore s'est considérablement aggravé à compter du 1er janvier 2012, soit postérieurement à l'installation des consorts C.

En l'espèce, par leur nature, leur intensité et leur fréquence, les nuisances sonores décrites par les témoignages précités, depuis le 1er janvier 2012, relèvent d'un trouble anormal de voisinage, de sorte que les consorts C. sont recevables à solliciter l'indemnisation du préjudice qui en résulte, ainsi que la mise en place des mesures de nature à y remédier.

. sur le préjudice des consorts C :

. le préjudice économique':

Les comptes de résultat de l'exploitation agricole de Mme C. révèlent que si elle a pu dégager des bénéfices en 2003, de 2007 à 2010 et de 2013 à 2015, ceux-ci n'ont pas excédé la somme de 2'782 EUR (en 2007), tandis que les pertes l'ont emporté de 2004 à 2006, puis en 2011 (- 4 220 €) et 2012 (- 562 €).

Plus précisément, les résultats obtenus au cours des années correspondant à l'aggravation du trouble anormal de voisinage, soit en 2012 (- 562 €), 2013 (+ 8 €), 2014 (+ 2627 €) et 2015 (+ 686 €), ne rendent pas compte d'une réduction manifeste d'activité, aussi bien au regard de l'évolution des résultats justifiés au cours des trois années courant à partir du 1er janvier 2012, que par comparaison avec ceux obtenus depuis 2003.

Parmi les témoignages produits par l'intimée, seuls peuvent être pris en considération ceux qui rendent compte de faits précis et datés, survenus depuis l'aggravation retenue à partir du 1er janvier 2012.

En ce sens, outre les attestations de Mmes H et J déjà citées, Mme C produit le courrier du 7 mai 2013 par lequel Mme M. annule la location d'une yourte pour 2 adultes et 2 enfants, avec réservation de 20 heures d'équitation, pour la somme de 450 EUR, en raison des fortes nuisances sonores dues au passage d'engins motorisés.

Pour le même motif, le 11 juillet 2016, M. J atteste avoir été contraint de renoncer à des séjours en famille de 5 à 10 jours à Pâques 2016 et en juillet 2016.

Ces éléments rendent compte des difficultés certaines auxquelles a été confrontée l'activité du centre équestre.

En revanche, les projets de développement du camping et de création d'une activité de pension et dressage de chevaux invoqués par les appelants, ne sont confirmés par aucun document objectif, tandis que le préjudice allégué à ce titre ne peut se déduire de la seule comparaison des résultats obtenus et du produit brut prévisionnel établi par les intimés eux-mêmes.

En conséquence et sans qu'il y ait lieu de recourir à une expertise, le préjudice économique de Mme C. lié aux troubles anormaux de voisinage liés aux nuisances sonores imputables aux consorts M et à l'association Team Sauvain depuis le 1er janvier 2012, sera justement réparé par l'allocation de la somme de 10'000 EUR à titre de dommages et intérêts, le jugement étant réformé sur ce point.

. le préjudice moral :

Au vu des certificats médicaux établis par le médecin généraliste des intimés le 18 avril 2014 et par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a justement condamné les appelants à payer à titre de dommages et intérêts à Mme C. la somme de 3'000 EUR et à M. C. celle de 2'000 EUR.

. sur les mesures de nature à mettre fin à l'aggravation du trouble anormal de voisinage :

Pour mettre fin à l'aggravation des nuisances sonores subies par M. et Mme C., les appelants devront limiter les activités qui en sont la cause.

Référence: 

- Cour d'appel de Nîmes, 2e chambre civile, section A, 1er juin 2017, n° 16/02242