Inscription à notre newsletter

Recevez toutes les informations importantes directement dans votre boite mail. Cliquez ici

Partager cette actualité
Le 28 mai 2020

 

En droit, le banquier auquel il appartient de démontrer qu'il a rempli son obligation de mise en garde, est dispensé de cette obligation s'il établit que son client a la qualité d'emprunteur averti. L'appréciation du caractère averti de l'emprunteur, qui résulte de leur disposition des compétences nécessaires pour apprécier le contenu, la portée et les risques liés aux concours qui leur avaient été consentis, s'effectue in concreto. Elle peut résulter notamment du niveau de qualification professionnelle des emprunteurs, de leur formation, de la nature de leurs activités et de la diversification de leur patrimoine.

Sont insuffisants à établir la qualité d'emprunteur averti le fait d'être gérant d'une société commerciale spécialisée et, dans le cadre de l'exercice de ses responsabilités, d'entretenir avec les établissements bancaires des relations nécessaires pour la tenue des comptes de la personne morale et, le cas échéant, la demande de concours bancaires pour financer l'investissement voire la trésorerie.

En outre, la banque ne peut être dispensée de son obligation de mise en garde à l'égard de l'emprunteur non averti par la présence à ses côtés d'une personne avertie, peu important qu'elle soit tiers ou partie.

En l'espèce, il appartient à la banque, qui se prétend déchargée de toute obligation de mise en garde à raison de leurs capacités financières et du risque d'endettement né de l'octroi du prêt, d'établir son allégation selon laquelle les appelants doivent être considérés comme des emprunteurs avertis.

Elle démontre, à ce titre, que l'allégation des emprunteurs selon laquelle ils n'auraient qu'une maîtrise relative de la langue française et des termes juridiques est contredite par la multiplicité des actes qui sont justifiés aux débats, tant en termes d'acquisition de biens immobiliers qu'en termes de gestion de société.

Il est en effet constant que les époux A, comme le soutient la banque, ont tous deux exercé des fonctions dans différentes sociétés commerciales, et non dans une seule société comme ils le soutiennent, et détenaient des participations dans différentes structures. Ainsi :

- ils étaient les deux seuls associés, chacun pour moitié, d'une société Art et Rotin, commercialisant des meubles, créée en 2003, dont le fonds a été cédé le 30 juillet 2007, laquelle n'avait plus d'activité commerciale entre le 30 juillet 2007 et le 31 décembre 2011 puis a été renommée Sunnyheat France en 2012 (la mention de ce changement de dénomination ayant été effectuée au RCS le 13 février 2012), et dont Mme Wendy A est gérante depuis le 5 novembre 2007 ;

- M. John A était associé à hauteur de 40 %, non gérant, de la société SG BAT constituée le 6 août 2007, puis a cédé la totalité des parts de cette société le 1er janvier 2009.

- les époux A. ont également créé une société Maison 85 immatriculée le 16 avril 2008 (avec une date de début d'activité au 16 février 2008) devenue le 10 septembre 2010 VL Technology France, spécialisée dans la distribution, en France, d'un système de distribution de chauffage, dont Mme Wendy A a été nommée gérante le 30 juin 2009.

Les appelants soutiennent à bon droit que la qualité de gérante de Mme A et d'associé de M. A dans le cadre de sociétés commerciales ne suffit pas à en faire des spécialistes, l'appréciation de la qualité d'emprunteur averti et de leur connaissance du monde des affaires devant s'effectuer au regard de leurs capacités réelles des intéressés et non simplement de ces qualités. Or, les sociétés commerciales dont ils étaient les gérants et associés n'intervenaient pas dans le domaine bancaire ou immobilier, mais dans le domaine spécifique des meubles, des distributions de systèmes de chauffage et des travaux, ce qui ne suffit pas à démontrer un recours régulier à des contrats de financement dispensant la banque d'une obligation de mise en garde.

La banque se prévaut toutefois également du patrimoine non négligeable, de l'ordre de 1.200.000 EUR, des emprunteurs, lorsqu'ils sont rentrés en relation avec la Banque Populaire Atlantique, avec un patrimoine net de 800.000 EUR ; elle établit ainsi qu'à la date du 21 septembre 2007, l'épargne totale des époux A était 154.923,66 EUR outre 60.611,99 EUR d'assurances-vie, d'une évaluation du bien sis résidence « la Vigie » à '240 00 €uros nets vendeur' (lire 240.000 EUR) à la date du 3 octobre 2017 et de celui situé résidence « le Cathelineau » à 570.000 EUR nets vendeur » à la date du 18 octobre 2017. Les époux A eux-mêmes rappellent que leur patrimoine s'élevait à 1.090.000 EUR en 2008. Ce patrimoine antérieur, réduit à la date du prêt de 2013 du fait de la vente en 2009 et 2010 des deux appartements, sans que l'intégralité des fonds en provenant soit employée au remboursement des prêts, ne constitue l'indice du caractère averti des emprunteurs que dans la mesure où sa gestion impliquait de façon courante des opérations de même nature que celle à l'occasion de laquelle la responsabilité de la banque est recherchée. Or, il n'est pas contesté que les époux A ont déjà souscrit concernant « le Cathelineau » un prêt in fine de 362.426 EUR sur 15 ans au taux de 3,80 %, remboursable en 2020, et qu'en 2013, seule date à laquelle doit être appréciée leur qualité d'emprunteur averti, ils avaient déjà bénéficié de deux prêts de même nature, déjà reconduits à deux reprises. Il en résulte que les emprunteurs avaient connaissance de la nature spécifique des prêts in fine imposant le paiement d'échéances composées exclusivement d'intérêts et d'assurances n'entamant pas le capital, avec la nécessité, au terme du prêt, de rembourser l'intégralité du capital emprunté (caractéristique commune aux prêts in fine souscrits auprès du CIO), cette exigibilité n'étant pas, contrairement à leurs affirmations, ignorée des emprunteurs qui avaient négocié le rachat puis la prorogation du terme de ces prêts.

Dès lors, c'est à bon droit que le premier juge a considéré, au regard de la nature de leurs activités, de la diversification de leur patrimoine, et de la réalisation antérieure à plusieurs reprises d'opérations de même nature, que les emprunteurs étaient avertis en matière bancaire au regard de la nature de l'opération en cause.

Référence: 

- Cour d'appel de Poitiers, 2e chambre civile, 19 mai 2020, RG n° 19/00324