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Le 23 février 2020

 

 

Par acte notarié du 29 décembre 2003, monsieur AK-AL Y et madame K E épouse Y ont consenti à monsieur H X et à madame I G épouse X un bail rural d’une durée de neuf années portant sur diverses parcelles de vignes.

Par acte authentique du 9 décembre 2005, le bail a été transformé en bail à long terme d’une durée de 18 années.

Par acte d’huissier du 15 juillet 2010, les bailleurs ont fait citer les preneurs devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Reims en résiliation du bail.

Par jugement du 24 août 2012, confirmé par arrêt du 9 avril 2014, le tribunal paritaire des baux ruraux a dit n’y avoir lieu à requalification du bail en bail à ferme, a débouté les bailleurs de leur demande de résiliation et les a condamnés à payer aux preneurs la somme de 1 .000,00 EUR à titre de dommages et intérêts outre 800,00 EUR d’indemnité de l’art. 700 du Code de procédure civile.

Le 30 octobre 2013, les preneurs ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Reims d’une demande tendant à faire convertir le bail à métayage en bail à ferme.

Par jugement du 27 novembre 2014, confirmé par arrêt du 21 octobre 2015, le tribunal a ordonné la conversion du bail à métayage en bail à ferme à compter du 1er novembre 2014, a fixé le montant du fermage à 2600 kg de raisin par hectare et débouté les époux X de leur demande de dommages et intérêts.

Par actes du 28 juillet 2016, du 1er, 2 et 4 août 2016, et du 7 septembre 2016, outre acte rectificatif du 13 et 14 septembre 2016, monsieur AK-AL Y et madame K E épouse Y ont fait donation des terres louées à monsieur O P, à monsieur M F, monsieur Q A et madame R S épouse A, monsieur T B et madame U V épouse B, madame W AA, monsieur AB C et madame AC AD épouse C, monsieur AE D, madame AF AG épouse D, monsieur T D et monsieur AH D, avec charge constituée d’une rente viagère irréductible et réversible.

Par courrier du 14 septembre 2016, maître Pertin, notaire, a informé monsieur H X et madame I G épouse X que monsieur AK-AL Y et madame K E épouse Y avaient consenti des actes translatifs de propriété sur l’ensemble des parcelles dont ils étaient locataires.

Par acte d’huissier du 17 mars 2017, monsieur H X et madame I G épouse X ont fait assigner madame K Y née E, monsieur AK-AL Y, monsieur M F devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Reims en vue d’obtenir l’annulation de l’acte de donation régularisé le 2 août 2016 au profit de monsieur F outre dommages-intérêts au titre du préjudice résultant de la fraude à leur droit de préemption et indemnité de l’article 700 CPC.

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Appel a été relevé du jugement de première instance.

Les appelants, les exploitants, soutiennent que le transfert de propriété a été fait pour contourner frauduleusement leur droit de préemption dans la mesure où c’est une aliénation onéreuse déguisée, exclusive de toute intention libérale.

Les intimés soutiennent au contraire qu’il s’agit d’un acte à titre gratuit, échappant à l’exercice du droit de préemption du preneur puisque la donation avec charge reste une libéralité tant que la charge n’atteint pas la valeur du bien donné, et que l’intention libérale n’a pas à être recherchée lorsque l’acte le mentionne expressément.

Selon l’art. L 412-1 du Code rural et de la pêche maritime "le propriétaire bailleur d’un fonds de terre ou d’un bien rural qui décide ou est contraint de l’aliéner à titre onéreux, sauf le cas d’expropriation pour cause d’utilitépublique, ne peut procéder à cette aliénation qu’en tenant compte, conformément aux dispositions de la présente section, d’un droit de préemption au bénéfice de l’exploitant preneur en place."

Or, l’acte litigieux ne peut être qualifié d’acte à titre onéreux dans la mesure où il confère au donataire des droits valorisés à 419 .000,00 EUR alors que la charge, déduction faite des fermages qui seront encaissés, n’atteint pas 20. 000,00 EUR jusqu’à la fin du bail en 2023 ni 50 .000,00 EUR dans l’hypothèse la plus favorable d’une prolongation d’une fin de bail jusqu’à la date supposée du décès du plus jeune des deux époux donateurs.

En revanche, il ressort des pièces du dossier, que par un montage au profit de personnes qui leur étaient inconnues, les bailleurs ont voulu contourner les droits de leurs preneurs.

En effet, les bailleurs ont essayé en vain de faire résilier le contrat de bail et les pièces du dossier mettent en exergue leur animosité envers leurs preneurs à bail. Ainsi, les preneurs versent aux débats de nombreuses attestations de vendangeurs qui relatent la présence hostile de madame Y dans les vignes lors des vendanges de l’année 2011 allant jusqu’à dire à monsieur X qu’il était 'pourri'. A cet égard, le courrier de l’huissier de justice qui affirme n’avoir pas entendu de propos hostiles ni observé d’incidents lors de ces vendanges alors qu’il était présent aux côtés de madame E, n’est pas de nature à combattre efficacement les nombreuses attestations produites, dans la mesure où ce courrier n’est pas signé et que l’huissier n’était pas présent en permanence à côté de sa cliente comme le montrent les photographies produites par les époux X.

En outre, il est produit un courrier dans lequel monsieur JL Y-E indique à ses clients qu’il les confie à monsieur AI AJ, vigneron du village, au motif qu’il n’était pas question de les mettre "dans les mains de n’importe qui" alors qu’ils avaient, selon d’autres clients, présenté les époux X comme leurs successeurs.

Au regard de ce contexte belliqueux, objectivé par des procédures judiciaires et des rapports inamicaux, la donation à des personnes inconnues avec charge, en l’absence d’héritiers, relève moins de l’intention libérale que de la manoeuvre frauduleuse pour contourner le droit de préemption des preneurs, de sorte que l’acte de donation doit être annulé en application des dispositions de l’art. L.412-12 alinéa 3 du Code rural et de la pêche maritime et du principe selon lequel la fraude corrompt tout.

Référence: 

- Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 19 février 2020, RG n° 18/02271